Un rêve de fièvre
By: Xavier Blackwell-Lipkind
Writer’s note: This is a (very) short story in French. The Conard Courant is committed to publishing a diverse array of work, including pieces in foreign languages.
Dans la forêt Guillaume voit seulement des arbres. Des peupliers, des acacias, des érables. Il y a aussi un type-de-pont droit devant, mais ce n’est pas vraiment un pont parce que les ponts ne sont pas les ponts sans l’eau, et cette forêt est une forêt sèche. Bien sûr, les grands hommes d’État ont essayé de changer cette définition; ils construisent des routes élevées dans les villes les plus célèbres du monde et les appellent des ponts. Mais ces monstruosités ne sont pas des ponts. Elles sont des arcs-en-goudron, des faux-ponts, peut-être, mais elles ne sont certainement pas de vrais-ponts. En fait, les vrais-ponts n’existent que dessus des fleuves et des baies. Donc Guillaume ne pense pas que ce type-de-pont soit un véritable pont.
Guillaume attend. Il attend son amante. Il n’a jamais vu cette amante mais il sait qu’elle a les cheveux blonds avec des mèches roses. Il le sait parce qu’il l’a vue dans un rêve de fièvre il y a quatre semaines. Guillaume sait aussi qu’elle s’appelle Marie, ou bien Monica, ou quelque chose comme ça, parce que dans ce rêve il a pu apercevoir la lettre “m”. Et il est ici, dans la forêt, parce que dans ce même rêve il a entendu plusieurs fois une seule phrase, “on se verra dans la forêt”, et il pense que cette phrase-là se passe d’explication.
Le rêve était un rêve de fièvre parce que Guillaume a passé deux semaines dans une stupeur constante. Ses pensées sont devenues de plus en plus boueuses, submergées dans un marais viral profond. La grippe.
Puis Guillaume s’est rétabli et il est retourné au travail, ou pendant quelques jours il a entré des chiffres vides de sens dans un tableur sans fin. Mais il pensait toujours de son amante, M___. (C’est ce qu'il appelait la femme: M___.) Il pensait toujours de ses cheveux rayés. Il pensait toujours à ses yeux bleus ou verts ou marrons; la couleur changeait tout le temps. Et un jour, Guillaume a commencé à planifier son rendez-vous avec M___ dans la forêt.
La femme de la nuit arrive maintenant. Elle est assise sur son char d’ombre, un rossignol perché sur chaque doigt noir sauf un, son index droit. Elle franchit le type-de-pont, fait trois pirouettes autour de Guillaume, qui ne voit rien, et dessine des étoiles dans le ciel violet avec son doigt libre. Ensuite elle grimpe sur l’érable le plus proche et s'endort.
Guillaume attend.